Comment ne pas subir l’impuissance que l’on peut ressentir ?
Nous ne sommes plus à l’aube d’un nouveau monde. Nous sommes dans ses fondations, dans sa glaise, dans sa conception, nous sommes sa matière vivante, porteurs des codes de mise en action de la société dans laquelle nous aurons tous plaisir à vivre ensemble. Alors, comme pour toute construction solide et puissante, il est important de creuser dans la terre… et que trouve-t-on quand on creuse ? bah des tas de trucs - des plus gluants au plus prolifiques. Dans ce « tas de trucs » enfoui dans la terre de notre collectif humain, je choisis aujourd’hui d’en extraire un aspect qui m’apparaît très éprouvant à vivre : le sentiment d’impuissance (face à un monde que l’on voudrait en paix, face à des proches que l’on voudrait guérir, face à une société que l’on voudrait réveiller, face à notre part qui veut sauver l’univers et ce qu’il contient).
1) Comment se traduit l’impuissance dont je veux vous parler ici ?
Nous aspirons à une façon de vivre qui comblerait toutes nos attentes (matérielles, affectives, émotionnelles, sécuritaires, écologiques, etc, etc). En fonction de notre degré de conscience, nous avons la possibilité de mettre en place des choix réfléchis et basés sur ce qui nous apparaît comme étant au service de l’Homme et de tout le Vivant. Alors, quand nous nous retrouvons confrontés à l’action d’autres humains qui a pour conséquence de détruire les richesses écologiques de notre planète, de réduire en esclavage d’autres humains et animaux, d’imposer leur volonté à d’autres ou encore de refuser de voir et de réfléchir par eux-mêmes (par exemple, pour se rendre compte de ce qui se trame à nos dépens à tous...), cela fait monter en nous un désir tellement fort de rallier les autres à notre cause car nous nous sentons bien seuls et en proie à une impuissance et une incompréhension qui nous vrillent les tripes.
Un autre exemple. La manifestation de cette impuissance peut s’exprimer à travers un proche qui fait des choix pour sa santé et que vous, vous pensez terriblement néfastes. Vous savez qu’il existe des alternatives qui seraient bien meilleures pour lui mais il refuse totalement de vous écouter. Et là, vous vous retrouvez aussi avec ce sentiment d’impuissance en regardant votre proche souffrir sans rien pouvoir faire d’autre que de l’écouter vous parler de la situation dans laquelle il se trouve.
De notre souhait à vivre dans un monde en paix et à rallier tous les autres à notre vision de ce monde, découle donc notre confrontation à l’impuissance à sauver le monde, à aider ceux que nous aimons, à se faire comprendre. Notre élan de vie, de prendre soin n’arrive plus à se transmettre, nous tombons dans un état de désolation intérieure et, en même temps, l’envie d’envoyer balader le monde entier pointe le bout de son nez. Sans oublier notre état émotionnel et notre état de santé qui nous laissent au plus bas de notre forme.
Voilà ce que j’ai pu observer de l’impact que peut avoir ce sentiment d’impuissance.
2) Alors, quoi faire de cette impuissance, comment ne plus la subir, comment s’en sortir ?
Première réponse rapide que je vais développer ensuite, c’est de ne pas chercher à combattre cette impuissance, ne pas chercher à s’en débarrasser. Elle est non seulement légitime parce que vous la ressentez et elle est un indicateur précieux au service de ce qui vous anime.
Avez-vous remarqué ce que cela vous fait lorsque vous voyez les autres faire des actions, penser d’une façon, qui est destructrice pour la Vie, sans peut-être le savoir, sans le voir, sans en avoir conscience ? Cela vous met-il facilement en colère voire en rage ? Vous dites-vous « mais quels imbéciles, mais qu’est-ce qu’ils sont c.o.n.s » ?
Je dois vous dire ici que cela m’arrive régulièrement, a fortiori en cette période où il est crucial à mes yeux de ne plus faire l’autruche et prendre position sur nos choix de vie. Je me dis que l’adage « il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir ... » est décidément trop bien d’actualité… Je vous dis plus bas comment je vis cela sans m’enfermer dans ces jugements.
Comment faire donc pour ne plus subir cette impuissance ?
Déjà l’identifier. Est-ce que vous sentez que votre élan à contribuer à un monde plus beau est entravé ? Demandez à votre tête (oui ce mental que l’on bannit très souvent, et bien, là, il est votre allié) de vous rappeler une situation actuelle ou antérieure dans laquelle vous vous sentez ou sentiez impuissants, pieds et poings liés. Une fois que vous y êtes, qu’est-ce que cela vous fait dans votre corps ? Sentez-vous une douleur, un pincement, un serrement, un chaud, un froid, des picotements, peut-être rien ? Où ressentez-vous cette sensation dans votre corps ? Votre gorge, votre ventre, au plexus, un mal de crâne, votre cœur, tout votre corps ?
Bien. Une fois localiser, restez avec cette sensation. Oui c’est hyper désagréable, oui vous allez vouloir faire autre chose, oui vous allez vous trouver toutes les excuses du monde pour ne pas rester avec votre sensation. Or si vous embrassez pleinement ce désagrément, vous réussirez un acte héroïque pour vous-même. Cet acte héroïque c’est de ne pas vous abandonner et de rester avec vous-même alors que vous avez mal, alors que votre monde s’écroule, alors que plus rien n’a de sens pour vous, alors que vous sentez que vous ne voulez plus vivre de cette façon ou du tout.
Servez-vous de ce que cela génère dans votre corps et dans votre psychisme pour extérioriser ce que vous gardez pour vous. Dans un endroit où vous vous savez seul, dites à haute voix tout ce que vous pensez, ce que vous croyez, ce que vous vous imaginez d’une situation ou d’un autre. Faites-le avec l’intention de vous faire du bien et non d’éliminer l’autre. Faites-le pour vous et non contre l’autre. Cet exercice va vous amener à vous sentir plus en lien avec vous-même et moins focalisés sur l’extérieur. Voyez comment vous prenez soin de vos émotions en les exprimant, en restant avec au lieu de réagir de façon habituelle en les fuyant, en les mettant sous le tapis, en faisant endosser à l’autre toute la responsabilité de ce que vous, vous ressentez.
Une fois que vous avez vu, ressenti, accueilli tout ce maelström de pensées et d’émotions, il vous est possible à présent de vous sentir un peu plus sereins. Vous pouvez porter maintenant un regard plus dézoomé, plus objectif sur votre sentiment d’impuissance.
3) Quelle invitation au service de la Vie contient cette impuissance ?
C’est de faire tomber en soi la pulsion de sauveur du monde pour entrer pleinement dans notre puissance à agir à partir d’une intention d’aimer et non d’aider. C’est aimer l’autre pour qui il est – même s’il s’autodétruit, même s’il se fait mal, même s’il choisit de rester aveugle – sans avoir de plans pour lui, d’objectifs pour lui car nous ne savons absolument quel est le chemin de chacun. Nous ne savons pas par quelles épreuves, par quels obstacles il doit passer pour trouver ses propres clés de liberté.
Aimer l’autre n’a rien à voir avec être pleinement d’accord avec lui, à cautionner ce qu’il fait, à le laisser faire mais avec honorer son existence et tout ce qu’il a vécu – au même titre que soi-même. De cette invitation à aimer, à ouvrir notre cœur à la Vie, découle un autre sujet tout aussi fort (que je développerai une prochaine fois) : accueillir les choix de l’autre quand ils ont un impact sur moi. C’est toute la question de l’individu au sein d’un groupe. C’est toute la question de vivre ensemble en se respectant chacun.
Dans le contexte actuel, je vous avoue que je suis confrontée en permanence à ce sentiment d’impuissance. Quand je vois que nombre des membres de ma famille, de mes amis ou de mes connaissances choisissent de suivre des décisions qui ne sont pas prises pour le respect du Vivant, mon cœur se serre car je pense que notre libre-pensée est primordiale pour nous permettre de questionner ce qui se passe, pour garder notre liberté de choisir en toute conscience (là aussi je vais développer ce thème).
Plus haut, je vous ai dit que « de notre souhait à vivre dans un monde en paix et à rallier tous les autres à notre vision de ce monde, découle donc notre confrontation à l’impuissance à sauver le monde ». Si nous avons cette vision de la vie, c’est-à-dire que notre vision est meilleure que celle des autres, alors nous voulons les rallier à notre cause, sans respecter les différences de chacun. Construire un monde qui a le goût des bonnes choses, cela demande de commencer par cultiver en soi ce que nous voulons vivre à l’extérieur et de ne pas imposer à l’autre nos conceptions de la liberté et de la joie (nos aspirations fussent-elles amour, compassion et bonté pures). Vivre dans un monde en paix, c’est faire la paix avec notre tumulte intérieur puis poser des actions à partir de cette paix intérieure et non d’une envie d’en découdre car « les autres ne comprennent rien ». Les autres sont en vous, ils sont toutes vos voix intérieures, vos chaînes intérieures.
Voilà pourquoi également il est important de ne pas rester sur les jugements que nous pouvons avoir les uns sur les autres car ils nous séparent, ils nous éloignent, ils brisent nos cœurs. Un des grands enseignements de la CNV (Communication NonViolente®) que j’ai sans cesse en mémoire c’est que derrière tout jugement il y a un besoin. Quand vous découvrez la magie derrière le jugement, vous le transformer en énergie au service du vivant et non de la séparation. Quand vous jugez quelqu’un (si si, nombre d'entre nous avons des jugements à un moment ou un autre sur tout le monde – je ne fais pas exception!), soyez curieux, demandez-vous ce que cela veut vous apprendre. Vous vous dites que tellement de gens sont encore endormis face à ce qui se passe actuellement ? Regardez comme cela vous en dit long sur votre besoin de reliance, de conscience, de paix, d’intégrité. Reliez-vous à vos besoins. Encore une fois restez avec vous-même sans vous abandonner et quand vous sentez que vous vous êtes rejoint, vous pouvez communiquer avec le reste du monde, non pas en voulant le convaincre, ni le rallier, ni lui faire ouvrir les yeux mais juste en semant vos graines de conscience, juste en partageant ce qui fait sens pour vous, sans rien vouloir imposer.
La qualité de notre existence est en jeu. Laissons l'amour que nous sommes se révéler pour oser créer un monde rempli de joie, de musique, d'art, de santé, de communication, de reliance, de beauté, de nature magnifique, d’animaux libres… pour que les rires des enfants, nos rires, résonnent pour les siècles à venir !
De tout cœur,
Céline VINCENT
www.douceurdelame.fr
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